Fuzz : Réglage de la bias

Le terme américain bias désigne ce que nous appelons en français la polarisation d’un circuit, et c’est pour cela que j’ai l’habitude d’en parler au féminin.

Régler la bias d’un circuit consiste à ajuster une tension de repos sur certains points critiques du circuit, afin que les signaux alternatifs  puissent y transiter sans déformation.

En pratique et le plus souvent, cette tension de polarisation est égale à la demi-tension d’alimentation de l’étage concerné.

Cet enjeu est essentiel en HiFi/sono, mais c’est pareil dans un overdrive ou une fuzz :
La forme du signal, même saturé, ne doit pas être dénaturée si on veut le meilleur son.

Cet article vise à faire le point, en étant précis à la fois du point de vue technique et du point de vue musical… Il est un petit peu long, mais je le crois utile.

La Bias : d’abord un réglage technique

Pouvoir transmettre l’intégralité du signal alternatif

Le but est de garantir un signal complet à tout moment.
Que le signal soit fort ou faible, qu’il débute ou se termine…
Un déréglage ébrèche le début et la fin des notes, C’est parfois amusant, et ceux qui ont fait joujou avec une Fuzz Factory on pu ainsi connaître des moments de rêve…
Le plus souvent, ils ont du obtenir des crachotis peu musicaux : Maintenant ils savent ce que sont les exigences techniques de la bias !

Symptômes typiques d’un mauvais biasage

Une bias totalement pourrie rend la Fuzz muette.
Soit les transistors sont bloqués, soit au contraire ils sont en conduction totale.
Dans ces deux cas extrêmes, la mesure des tensions entre le collecteur des  transistor et la masse donne des valeurs extrêmes : près de 0V, ou près de -9V…

Les causes courantes de ces pannes sont :
• Transistors défectueux (ce n’est pas rare avec les transistors NOS au germanium).
• Erreur de montage (en particulier connexions des transistors inversées).
• Soudure oubliée ou foireuse, court-circuit ou coupure dans le câblage.
• Erreurs sur la valeur des résistances, en particulier code couleur mal lu.
• Potentiomètre ajustable de la bias de valeur inadaptée, cassé ou mal réglé.

Une bias médiocrement réglée ne laisse entendre que les attaques ou les forte.
• S’il y a un peu de son, les signaux sont tronqués et manquent de sustain.
• Le cœur des notes  sonne abrasif et mesquin, sans tenue musicale…

Mais au moins il sort quelque chose :
très souvent, il suffit de retoucher certains composants, et le son fuzz (re)vient avec toute sa substance !

bias d'une fuzz

Réglage technique idéal d’une fuzz à deux transistors
En haut : signal au collecteur du premier transistor, avec sa forme en téton caractéristique.
En bas : signal de sortie, avec une bias optimisée pour obtenir un signal saturé symétrique.

La bias : ensuite une affaire de musicalité

Une bonne bias permet de bien développer les notes

Un son de guitare passe par 3 moments successifs, tous musicalement importants :
Attaque (attack), Tenue (sustain), Relâchement (release).

Une bonne bias met en valeur chacune de ces phases :
L’attaque est franche et ronde, sans blocage ni pops graves ; le sustain est plein et se maintient de manière homogène ; enfin le release se déroule et s’achève sans bavasses…

L’enjeu sonore est que chaque moment sonne complètement.
Biaser suppose alors à ne pas se contenter d’un bête saturax…
Pour cela, il faut que les formes et la symétrie du signal puissent respirer avec le jeu du guitariste.
L’enjeu électronique est de faire venir le moment idéal où le signal prend un rapport cyclique unitaire :
Quand ses alternances ont la même durée, ce qui offre à l’oreille une sonorité poilue mais douce (smooth).


Signal en entrée et sur chacun des deux transistors, pour trois niveaux d’entrée  :

-40dB : Un signal faible passe sans être déformé par la fuzz, et reste donc clair.
-30dB : Un signal modéré est saturé de manière asymétrique mais régulière.
La tension au second transistor présente une asymétrie, sensible au niveau d’entrée, ce qui donne un timbre changeant en fonction de la dynamique, typique des Fuzz Face.
La forme en téton de la tension au premier transistor peut s’épaissir, mais doit rester lisible.
-20dB : Un signal à plein niveau est totalement saturé. Il doit tendre vers une quasi symétrie, en particulier sur le collecteur du deuxième transistor.

Le fignolage musical de la bias va permettre de rester plus longtemps en situation asymétrique et variable (image centrale), ou au contraire de faire apparaître plus tôt la saturation totale et symétrique (image de droite).

A chacun ses goûts !


Deux manières de faire jouer une fuzz

On peut préférer une saturation progressive, qui privilégie les effets retenus, les matés, les cocottes : un jeu à la Stevie Ray Vaughan où à l’Hendrix de « Bold as love »…
Les passages retenus  offriront une saturation asymétrique et changeante, où se mêlent des alternances quasi clean et des alternances déjà bien saturées.

L’oreille interprétera cette asymétrie comme un mix changeant de son clair et de son fuzz. C’est typique des Fuzz Face : le son prend un timbre plus clair quand on baisse le volume de la guitare, et redevient progressivement fuzzy et carré quand on pousse le niveau.
Le plus magique, c’est quand ces deux moments sonores cohabitent….

Cela correspond à un potentiel de repos de -4,8 à -5,5V à mesurer entre le collecteur du deuxième transistor T2 et la masse.

On peut au contraire préférer les plans hyper saturax, les power chords ou les accords plaqués à donf…
Les moments intermédiaires seront moins subtils, car déjà bien fuzzy, mais la masse sonore aura constamment tout son jus.

Le rock indépendant des 90s a réactualisé ces textures épaisses, comme les Pixies, Placebo, et autres Smashing Pumpkins… Venues du fond des sixties, ces sonorités poilues ont été redécouvertes et font référence dans la culture vintage de la Fuzz…

Cela correspond à un potentiel à vide plus faible, de 4,3 à 4,8V sur le collecteur de T2.


En pratique…

Le trimpot de réglage

Les premières fuzz n’avaient pas de réglage. Elles étaient toutes dissemblables, et c’était la loterie, car les transistors au germanium sont peu constants d’un exemplaire à l’autre, à moins de les trier sévèrement… Ce que ne faisaient généralement pas les fabricants, trop pressés et trop radins.

Dans les faits, la plupart des Fuzz anciennes étaient mal ou pas biasées du tout.
A ses débuts, le tech d’Hendrix Roger Mayer devait acheter des lots de pédales pour en trouver une où par miracle, les transistors étaient bien appariés. Il a vite compris qu’il fallait  tester et trier les transistors, et encore mieux, pouvoir régler in situ cette fichue bias !

Les fabricants insèrent maintenant une résistance ajustable (trimpot) à la place d’une des résistance fixe du schéma. Ceci permet un réglage individuel et précis de chaque pédale.

Ce trimpot est le plus souvent installé sur le collecteur de T2.
On peut aussi le trouver sur le collecteur de T1, et plus rarement sur l’émetteur de T2.

fuzz-face-reglage-de-la-bias, biasing

Schéma de principe d’une Fuzz Face adaptée avec un trimpot.
Le contrôle de la bias s’effectue en mesurant la tension à vide (sans son) entre le collecteur du deuxième transistor et la masse (le pôle + de la pile).

Certains fabricants préfèrent mettre le trimpot non pas à la place de Rc2, qui conserve alors sa valeur traditionnelle de 8,2kΩ, mais à la place de Rc1 de 33kΩ, alors remplacée par un trimpot de 50kΩ. Sur le plan électronique, c’est très efficace. Presque trop parfois : il faut manœuvrer le trimpot avec doigté pour obtenir la tension voulue sur le collecteur de T2…
Par ailleurs, T1 travaillant dans des conditions pointues, les variations de la résistance à  son collecteur influent beaucoup  sur le grain de la fuzz, surtout à gain modéré… C’est pourquoi, pour des raisons sonores, je préfère personnellement utiliser un trimpot placé en Rc2…

C’est encore plus critique avec un trimpot sur l’émetteur de T2, en parallèle du pot de Fuzz…

Régler d’abord du point de vue technique

La pédale doit être sous tension depuis 5 minutes, sans signal entrant, de manière à avoir atteint sa température interne de croisière.

1. Ajuster le trimpot pour pouvoir mesurer environ –4,5V   entre le collecteur du 2e transistor T2 et le pôle + de la pile (ou la masse de la Fuzz, c’est pareil)…
• Le collecteur de T2 ainsi polarisé aux alentours de la demi-tension d’alimentation pourra fournir un signal complet même à plein niveau.
• Si l’on ne dispose pas d’appareils de mesure, on peut assurer grossièrement cette étape à l’oreille en passant directement à l’étape 2.

Régler ensuite du point de vue auditif

2. Potentiomètre de fuzz réglé vers 14h…
• On envoie un La ou un Ré à vide, sans forcer, et on laisse la note s’affaiblir doucement.
• On retouche la bias pour obtenir le plus de corps, le meilleur sustain, sans bzzz éraillés…

3. On  joue ensuite ses plans habituels, déliés ou bourrins, en accords ou notes simples.
• On retouche finement pour saisir le moment où le signal se symétrise : quand il sonne de la manière la plus crémeuse et suit au mieux votre jeu.
Comme dit plus haut, certains préféreront que ce moment culminant n’arrive qu’à un niveau de jeu conséquent, ou au contraire soit déjà présent lors d’un jeu modéré…
C’est pourquoi le potentiel du collecteur de T2 va finalement se retrouver, selon vos goûts, réglé dans la fourchette 4.3 à 5.5V, et non pas forcément sur le 4,5V « officiel ».

4. On laisse reposer, et on va voir ailleurs en laissant la fuzz sous tension…
Au bout de 5 à 10 minutes, on refait le test pour vérifications.
Tant mieux si tout va bien, sinon dernières retouches à oreilles reposées.
• On repère par un point de feutre la position du trimpot… Cela pourra être utile un jour.
• On ne devrait plus devoir retoucher cette bias, sauf remplacement des transistors…

Si le moment crémeux ne vient pas, si on passe d’un son éraillé à un autre son éraillé quand on manoeuvre le trimpot, c’est que les transistors sont inadaptés ou défectueux.

• Il faudrait que T2 soit vraiment pourri pour que cela ne marche pas (fuite > 800µA).
• T1 est beaucoup plus critique : il est difficile ou impossible à biaser s’il fuit plus de 400µA,
ou si aucun montage correcteur n’a été inclus dans le circuit de la fuzz…

LikeYourFace, Fuzz à deux transistors, bias

Biasing d’une Like Your Face : Le trou d’accès extérieur à la résistance variable (Trimpot)…

likeYourFace, fuzz à deux transistors, Fuzz face


Dispositifs pour le biasing de ma LikeYourFace : le trimpot et un plot de mesures.
Le trimpot est également accessible de l’extérieur pour un réglage rapide « à l’oreille »…
Ici, les transistors sont un AC128 Tungsram, et un GC301C RFT . Tous les deux NOS, bien sûr.

Trucs et conseils de Guitar Poppa

Mes Fuzz sont individuellement biasées à l’atelier après 10 minutes sous tension.
Ce réglage ne sera retouché que si nécessaire : température anormale, maintenance…

•  Un trou au-dessus du boîtier permet un réglage de l’extérieur avec un tournevis plat fin.
•  Engager le tournevis, le tourner en douceur jusqu’à sentir qu’il s’enclenche, et régler.
•  A un extrême de la course, le son devient clair puis disparaît ; à l’autre, il s’ébrèche.

Il est inutile et néfaste de biaser tout de suite après avoir mis la fuzz sous tension.
Attendre 5 à 10 mn que la température interne des transistors se soit stabilisée.

Lors du réglage technique, il vaut mieux se caler un peu plus haut : entre 4,8 et 5V…
Ceci compense une dissymétrie du circuit, méconnue de ceux qui conseillent 4,5V.
(On compense ainsi la tension sur la résistance d’émetteur de T2, pour ceux qui savent…)

Lors du réglage auditif, obtenir un sustain homogène et fluide est le meilleur critère.
Le juge doit être le plaisir de jouer de la fuzz, chacun à sa manière et selon ses styles.
Les options indiquées plus haut ne sont que des repères que chacun s’appropriera.

Quand on a trouvé un bon réglage, mieux vaut s’y tenir.
On a trop souvent la tentation de retoucher la bias à la moindre impression d’inconfort. Et comme on le fait de manière précipitée, plus rien ne marche correctement :
The thrill is gone !

Une Fuzz bien conçue et réalisée retrouve sa bias chaque fois qu’on la rebranche.
• Juste éviter les écarts thermiques, et lui laisser le temps de stabiliser sa température.
• Des transistors bien triés, et certains composants insérés au bon endroit améliorent la stabilité thermique. Il y a tout ça d’origine dans LikeYourFace de Guitar Poppa.

Sur le terrain, seules des températures extrêmes nécessitent un rebiasage.
• On peut dans ces cas particuliers retoucher la bias « à la volée ».
• Une version custom de LikeYourFace possède un potentiomètre spécialement dédié. (nous contacter pour commande spéciale).


Bandeau medium rouge - L15

Liens

La page de ma Fuzz classique LikeTourFace

Technology of the Fuzz Face
(article de référence en américain)

Contacter Guitar Poppa pour plus d’infos…

Bandeau medium rouge - L15

4e édition, juillet 2019.

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